El Moghreb el Aksa. Une lumineuse inspiration

Th. Van Rysselberghe, Campement devant Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.

El Moghreb el Aksa. Une lumineuse inspiration

Elmoghreb El Aksa : Le Maroc vu par les peintres belges au XIXème siècle.

En 1832, Eugène Delacroix débarque au Maroc. Il accompagne la mission diplomatique française auprès du sultan alaouite Abd Al-Rahman dirigée par le comte Edgar Charles de Mornay qui souhaite l’avoir comme compagnon de voyage. Ce périple se révèle d’une portée considérable pour Delacroix. Six mois de vie au Maroc auront secoué l’homme et écarté l’artiste  des théories qu’il élaborait alors. Le peintre rencontre au Maroc « le beau qui court les rues », le beau oriental vers lequel s’élanceront à sa suite des cohortes de disciples. Tous en reviendront avec de nouveaux thèmes, éblouis de lumière et grisés par l’éclat harmonieux de la couleur exotique. En venant au Maroc, Delacroix a humanisé l’Orient que ses prédécesseurs avaient imaginé, magnifié, idéalisé. Mais, si la peinture de Delacroix se trouve transformée par le Maroc, le Maroc du XIXème siècle est désormais imprégné  du pinceau de Delacroix.

Th. Van Rysselberghe, Passage de l’oued Sbou (1887-88), dessin pour El Moghreb el Aksa, pl. XI, craie noire, Collection privée.

Pour des raisons historiques évidentes, il n’existe pas de liens entre la Belgique et le Maroc comparables à ceux qui unissent le royaume chérifien à la France.  Au cours du XIXème siècle, la Belgique semble être totalement indifférente à la réalité maghrébine, en matière d’intérêts économiques et politiques. Une série de relations de voyage nuance ce propos et témoigne des ambitions coloniales du roi Léopold II. Au titre de souverain de l’Etat indépendant du Congo, le roi des Belges chercha à prendre pied sur l’un ou l’autre point de la côte atlantique et envoya la mission Whettnall, du nom du Ministre résident de Belgique à Tanger, auprès du sultan Moulay Hassan, de décembre 1887 à janvier 1888. Cette ambassade transportait un chemin de fer miniature en pièces détachées dont on voulait faire la démonstration au sultan marocain en vue de l’inciter à la construction d’une voie ferrée de Tanger à Fez. Cette première tentative de pénétration n’aboutit à aucun résultat sur le plan pratique mais elle a le mérite d’être soulignée puisqu’elle comptait parmi ses participants deux personnalités de premier ordre dans le monde des Arts et des Lettres belge: le juriste et écrivain Edmond Picard (1836-1924) et le peintre Théo Van Rysselberghe (1862-1926). La relation de voyage à laquelle tous deux collaborèrent, El Moghreb el Aksa. Une mission belge au Maroc (1889), s’avère être un ouvrage d’esthète, tiré à 205 exemplaires, orné d’un frontispice d’Odilon Redon. Il n’existerait que deux exemplaires en bibliothèques publiques belges de cet ouvrage précieux, et un exemplaire se trouve également à la Bibliothèque nationale de France à Paris.

Th. Van Rysselberghe, Vue de Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.

L’intérêt de ce récit réside essentiellement dans le système de représentations et dans la vision du Maghreb que nous propose son auteur. Principalement connu alors pour son œuvre juridique, Edmond Picard fut aussi écrivain, critique littéraire et artistique, nationaliste belge, théoricien des races et… socialiste. Picard professa pendant 40 ans les formes les plus effarantes du racisme et de l’antisémitisme. A la lecture du texte, on est frappé par certains « a priori » de l’auteur sur les populations autochtones. Il nous impose une vision du Maghreb sombre en usant de termes péjoratifs. C’est l’image d’une civilisation dégénérescente, dominée par l’inertie et la résignation fataliste qui nous est décrite. La seule part de rêve de l’auteur se traduit par la nostalgie des ruines antiques. Vous l’aurez compris, le texte d’Edmond Picard ne fait aucunement l’apologie du pays et de ses habitants, et je ne m’y attarderai pas tant sa lecture me fut pénible. Le voyage prenant fin, l’auteur termine pourtant son récit par un emphatique « O Moghreb Al Aksa qui fuit derrière moi !!! » […] « Mon rêve est fini ! ».

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En 1832, Eugène Delacroix débarque au Maroc
En 1832, Eugène Delacroix débarque au Maroc
Th. Van Rysselberghe, Passage de l’oued Sbou (1887-88), dessin pour El Moghreb el Aksa, pl. XI, craie noire, Collection privée.
Th. Van Rysselberghe, Passage de l’oued Sbou (1887-88), dessin pour El Moghreb el Aksa, pl. XI, craie noire, Collection privée.
Th. Van Rysselberghe, Vue de Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.
Th. Van Rysselberghe, Vue de Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.

Th. Van Rysselberghe, Fantasia: jeux de poudre, Tanger (1884), huile sur toile, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

Le témoignage du peintre Théo Van Rysselberghe nous laisse deviner une personnalité bien plus sympathique et sensible à l’égard du peuple marocain. Il consigne les étapes du voyage dans un petit carnet, ses impressions et quelques croquis qu’il exploite à son retour à Bruxelles pour la réalisation de plusieurs œuvres. Il est vrai que, en 1887, l’artiste n’en est pas à son premier voyage au Maghreb. Grâce à une bourse d’étude obtenue auprès de Gand, sa ville natale, il réalise un premier périple en Espagne et au Maroc en compagnie de ses amis Dario de Regoyos et Franz Charlet. Le premier les abandonne en Espagne et Théo s’installe avec le second à Tanger. Les paysages qu’ils découvrent et la vie quotidienne de la population inspirent à Van Rysselberghe une série de peintures à tendance réaliste, la plupart de petit format,  faites de taches ocre, claires, et chaudes mais dénuées de nuances (Echoppe de boucher, Tanger, 1882, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Gand). Le jeune peintre retourne au Maroc en 1884 où il séjourne durant presque toute l’année. Il loue un atelier à Tanger avec son ami et complice Franz Charlet et s’atèle avec enthousiasme à sa Fantasia arabe, œuvre marquante et monumentale de trois mètres de large conservée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Lorsque, en 1887, il accompagne Edmond Picard en mission diplomatique, Théo Van Rysselberghe traverse des paysages beaucoup plus sauvages que ceux qu’il avait vus à Tanger lors de ses périples précédents. Les gravures exécutées pour l’ouvrage El Moghreb el Aksa, illustrent essentiellement les personnages et les us et coutumes du pays, encore méconnus à l’époque, dans la tradition des ouvrages du genre. Les tableaux qu’il réalise lors de ce dernier séjour proposent des teintes claires apposées en touches lestes qui vont peu à peu se transformer en points de couleur. Les contours des figures et des architectures se sont peu à peu dissous au profit de la matière picturale d’où surgissent les formes.

Th. Van Rysselberghe, Campement devant Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.

Tous ces voyages ont, à l’évidence, exercé une influence déterminante, tant au cours de ses années de formation que sur l’ensemble de sa carrière artistique. Entre 1882 et 1888, Van Rysselberghe aura passé plus d’un an et demi à travailler au Maroc. Cette démarche est particulièrement anticonformiste car elle se prolonge dans le temps. Cependant, à la différence de la plupart des peintres, une fois le troisième voyage achevé, il ne réalisera plus d’œuvres « d’inspiration marocaine », se contentant de terminer à Bruxelles les tableaux parfois entamés au Maroc.

L’artiste qui lança véritablement la mode orientaliste en Belgique est Jean-François Portaels (1818-1895). Dès 1845, il choisit de voyager en Espagne, au Maroc et en Egypte plutôt que de réaliser le traditionnel tour en Italie. Ses premières œuvres néo-bibliques d’inspiration orientale remportent un réel succès et le propulsent à l’avant-plan de la scène artistique belge. Directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles,  l’impact de son enseignement sur toute une génération de peintres est indéniable.  Entre 1870 et 1875, Portaels passe plusieurs mois au Maroc et Tanger devient son refuge. Il en apporte de nombreuses études qu’il retravaille dans son atelier avant de les revendre à une clientèle avide d’exotisme de salon. Comme lui, son ami, le peintre anversois Victor Eeckhout (1821-1879) est un amoureux du Maroc. Il vit à Tanger depuis les années 1850. Tous deux se voient comme le « fils du pacha », Eugène Delacroix, qu’ils considèrent en véritable découvreur du Maroc.

Th. Van Rysselberghe, Campement devant Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.
Th. Van Rysselberghe, Campement devant Meknès (1888), huile sur toile, Collection privée.
Th. Van Rysselberghe, Fantasia: jeux de poudre, Tanger (1884), huile sur toile, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.
Th. Van Rysselberghe, Fantasia: jeux de poudre, Tanger (1884), huile sur toile, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

A la suite de Portaels, Emile Wauters (1846-1933), Emile Claus (1849-1924), Jules Guiette (1852-1901), Ferdinand Willaert (1861-1938), Théo Van Rysselberghe, Franz Charlet, Gustave Flasschoen (1868-1940), Alfred Bastien (1873-1955), … partiront à la découverte du Maroc, un Maroc devenu à leurs yeux celui du maître Portaels et qu’ils devront réinterpréter.

Grâce à ma formation et à ma longue expérience muséale,  j’ai eu la chance d’approcher au plus près les œuvres de ces peintres, de les examiner, de les manipuler, et par leur biais de me créer mon propre Maroc. Aujourd’hui, je vis dans le pays que ces artistes ont parcouru il y a plus de 150 ans. Il m’arrive, bien souvent,
de me trouver face à un paysage, d’observer une scène, de voir ressusciter devant mes yeux le tableau d’un de ces peintres et d’éprouver quelques frissons à l’idée de partager ces mêmes émotions à plus d’un siècle de distance. La couleur, la lumière de ce pays demeureront éternellement inspiratrices pour tout artiste, peintre ou
photographe…

A la suite de Portaels, Emile Wauters (1846-1933),
A la suite de Portaels, Emile Wauters (1846-1933),

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