Le Street Art à Marrakech

Le Street Art à Marrakech

Un phénomène mondial

Au Maroc, le Street Art a le vent en poupe. Au point de s’écarter de plus en plus de ses revendications premières…
Phénomène mondial, le Street Art apparaît comme un nouveau moyen d’expression dès les années 1980.

C’est dans les quartiers pauvres de New York que les premiers graffitis voient le jour vingt ans plus tôt, pour ensuite conquérir l’Europe et le reste du monde. Il s’agit d’un art considéré comme bâtard qui se déploie dans l’espace public, s’affiche au grand jour et est donc accessible à tous. Une signature, un sigle, une marque permettent à son auteur de communiquer à l’aide de mots ou d’images.

Au début de leurs apparitions, la société reste partagée quant aux qualités esthétiques de ces graffitis – certains les considérant comme des actes de vandalisme, d’autres y voyant les prémisses d’un art à part entière – il semble que, désormais, ces graphismes éphémères se pérennisent et trouvent leur place dans le monde de l’art.

Les galeries se sont peu à peu ouvertes aux arts de la rue, les musées organisent des expositions autour du concept et certains artistes issus de ce mouvement se retrouvent même en bonne position dans le marché de l’art, au point d’en faire oublier les origines revendicatrices et contestataires. Considérés comme péjoratifs, les termes graffiti et tag sont éclipsés au profit d’une locution plus flatteuse et plus compréhensible du grand public : le Street Art ou art de la rue.

Il en ressort alors une renaissance artistique à travers une explosion de créativités, d’idées nouvelles, de techniques plus élaborées. Les motivations du street artist ne sont évidemment plus les mêmes que celles du tagueur des débuts mais son but reste inchangé : investir les rues de la ville pour en faire des musées à ciel ouvert, accessibles à tous et livrer un message à ceux qui les traversent.

Dès lors les street artists élaborent une série de techniques, allant de la bombe au pochoir, du sticker et du collage à la peinture, ou encore de l’installation au détournement de mobiliers urbains. Toute une terminologie spécialisée pour un public initié découle de ces pratiques : on parle de tag et de graff du writer, de masterpiece réalisée par une crew. Le lettrage peut être en block letters, en wild style, en throw up… Une peinture graffiti peut être appliquée en panel piece, top-to-bottom ou en whole car, selon la surface exploitée…

Marrakech, une destination « street art » !

Depuis quelques années, les observateurs de l’industrie touristique placent Marrakech parmi les meilleures destinations au monde. Et lorsque le guide Lonely Planet édite en 2017 son nouvel ouvrage consacré au Street Art, on y retrouve Marrakech, seule destination arabe parmi les 40 villes sélectionnées ! Pourtant, ce n’est réellement que depuis 2016, à l’occasion de la Biennale de Marrakech qui avait inclus l’art urbain dans son programme, que l’on voit les murs de la ville ocre se couvrir de fresques réalisées par des artistes venus du monde entier.

Les voyageurs sortant de la gare ferroviaire de Marrakech découvrent face à eux un immense portrait d’homme peint en 2016 par l’allemand Hendrik Beikirch. Cet artiste réalise à travers le monde (Inde, Corée du Sud, Italie, Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Suède, France, Etats-Unis,…) des visages anonymes reflétant le miroir de la société. Vestiges de la biennale 2016, les fresques de 11 artistes internationaux et locaux parsèment les ruelles de la médina, les toits des terrasses, les murs décrépis de bâtiments abandonnés de Guéliz. Giacomo RUN (Italie) a investi le quartier du Palais Bahia. Le marchand de cigarettes de la rue Dar El Bacha s’adosse désormais contre un mur décoré par Sickboy (GB). Les étranges personnages de Kalamour (Maroc) sont apposés sur le mur du Café des épices, alors que de l’autre côté de la place se déploient les motifs géométriques colorés du russe Alexey Lukas. De la place des Ferblantiers, on aperçoit sur la terrasse du Kosybar un visage de femme peint par Dourone. Si la plupart des marrakchi ignorent l’existence d’une biennale dans leur propre ville, ces œuvres ne laissent personne indifférent.

À Marrakech comme ailleurs, effectuer un relevé des fresques murales et autres manifestations de l’art urbain s’avère illusoire. Il faut parcourir la ville en tout sens, dans ses moindres recoins et ne pas hésiter à pénétrer dans des lieux peu avenants pour découvrir une petit perle… au risque de ne plus la retrouver quelques jours plus tard !

Depuis plusieurs années, l’artiste français Christian Guémy, alias C215, applique ses pochoirs sur les murs de nombreuses villes du Maroc (Essaouira, Mirleft, Fès, Rabat, Tanger, Meknès…). En marge de la biennale de Marrakech, on pouvait pister ses chats réalisés au pochoir à travers la médina de la ville ocre. Malheureusement, ils semblent avoir tous été recouverts et le portrait de jeune fille apposé sur la porte du four du hammam, derrière la médersa Ben Youssef s’efface au fil des ans.

Dans le quartier « européen » de Guéliz, cachées en partie par une cascade de bougainvilliés et par des rangées de mobylettes, les fresques de la rue Oum er-rbia subsistent. Le marocain Morran ben Lahcen y a réalisé un beau portrait d’homme. Figure de référence pour nombre de street artist, Morran a « graffé » sur les remparts d’Azemmour, à l’usine Mafoder et aux Abattoirs de Casabalanca. En 2014, il expose à Galerie David Bloch de Marrakech et s’éloigne du monde de la rue pour approfondir ses recherches dans divers domaines de l’art contemporain.

Émergence du Street Art au Maroc

On l’aura compris, les artistes internationaux du Street Art semblent avoir trouvé au Maroc une belle scène pour s’exprimer. Mais quand cet art a-t-il émergé dans le royaume chérifien, quels sont ses acteurs, qu’en est-il des graffeurs marocains ?

Dans les années 1990, on parle de « nayda », que l’on peut traduire de l’arabe par « réveil » ou « debout », en écho à la « Movida » lorsque, vingt ans plus tôt, l’Espagne post-franquiste connaît un mouvement en réaction aux conventions politiques, sociales et religieuses. L’art de la rue parle aux jeunes et est le moyen d’expression d’une génération fascinée par l’Occident, en prise cependant avec des interdits religieux et moraux. Mais, alors que les griefs accumulés par une jeunesse révoltée ont fait sauter la soupape artistique dans d’autres pays du monde arabe, l’art urbain est plutôt discret au Maroc. L’extravagante « nayda », porteuse de grands espoirs, semble avortée peu après sa naissance.

Les premiers graffeurs marocains gravitent, pour la plupart, dans le milieu hip hop. Leurs blazes sont Ed Oner, Basec, RDS, Rebel Spirit, Dais ou encore Majic Joe… Ces figures émergentes de la scène marocaine ont pratiqué leur art dans la rue, se cachant de la police, taguant dans des terrains vagues, sur des postes de transformateur électrique, sur les murs d’une usine abandonnée, sous des ponts. Cependant, la plupart ne s’intéressent pas à l’aspect vandalisme et protestataire du graff que les puristes du genre défendent. Ils ont même, pour certains d’entre eux, une formation en graphisme, en dessin ou en arts appliqués, ont fréquenté l’Ecole des Beaux-arts de Casablanca ou ont été initié à l’art urbain au sein d’une association. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est illuminer de leur dessin un mur sale, investir des lieux abandonnés, dégradés en leur donnant une seconde vie. Smoky H affirme « L’art c’est aussi un message de paix, une politique passive. L’autre politique fait mal. Dessiner, ce n’est pas mentir au peuple ».  Ed Oner « aime faire plaisir aux gens simples ». Dans le même esprit, Majic Joe « peint avec sincérité, ce qui lui plaît. Il se trouve que ça plaît aussi au public ».

Adhésion du grand public

Dès 1999, l’association casaouie EAC L’Boulvart milite pour la promotion et le développement des musiques actuelles et de la culture urbaine au Maroc. Il en émane le festival Sbagha Bagha qui deviendra un événement indépendant en 2013 et prendra le nom de Sbagha Bagha Casablanca Street Art Festival. A Casablanca toujours, l’usine Mafoder s’impose comme un foyer de création et d’expression de la culture underground. Mécène à sa façon, le propriétaire de la fonderie toujours en activité, met ses murs à la disposition de graffeurs afin de mettre en valeur l’élément humain dans le processus de production.

Autour des années 2010, les galeries s’intéressent au phénomène de l’art urbain. Le new-yorkais Alec Monopoly ou le pochoiriste nantais Jef Aerosol sont régulièrement invités par la Galerie 38 de Casablanca. La toile remplace alors le mur. La surface de création est délimitée, encadrée.

Plus récemment, au cœur d’une oliveraie à 20 km de Marrakech, la résidence d’artistes Jardin rouge est créée par la Fondation Montresso. Elle se veut un laboratoire de créativité et un véritable carrefour culturel en parrainant des artistes de toutes nationalités. S’y sont succédé les peintres urbains internationaux C215 (2011), Tats Cru (2014), Hendrik Beikirch (2015), Kouka (2015 et 2016), TILT (2016), … Paradoxalement, le Street Art quitte l’espace non conventionnel de la rue pour s’expérimenter sur la toile.

Des festivals affichent leur engagement en faveur des arts et de la création contemporaine et s’inscrivent dans la mouvance street. Ainsi Jidar ambitionne de positionner la ville de Rabat dans le circuit international du Street Art en invitant des signatures de tous pays à transformer les murs de différents quartiers en fresques géantes. En 2015, Rabat devient une ville « street art friendly » en organisant conjointement à son festival une exposition au Musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain intitulée « Main street ». Le Street Art bien éloigné du tag undeground illicite, remporte définitivement l’adhésion du grand public marocain qui se trouve face à de séduisantes peintures murales monumentales et décoratives.

Devenu un véritable phénomène de mode, le Street Art fait l’objet de nombreuses reconnaissances officielles et est soutenu par internet et les réseaux sociaux. Les artistes reçoivent des commandes de toutes parts : agences de communication, écoles privées supérieures, espaces de co-working, festivals, galeries…. Sa mort prématurée survenue en 2013 dans un accident de voiture, mais aussi un réel talent, ont fait de Rabie El Adouni l’icône du genre au Maroc. Il est le premier à bénéficier en 2008 d’une exposition personnelle à l’ambassade de Croatie à Rabat et à vivre de sa passion. A l’exception de quelques irréductibles, la majorité des street artists marocains suivent sa trace et parviennent à bien vivre de leur art.

Le street art, une arme d’éducation massive ?

Dans le quartier de Kbour Chou, dans le nord de la médina, la petite école de ce quartier très populaire est ornée de motifs peints abstraits, mais aussi de panneaux représentant des scènes d’éducation civique. Les maisons voisines, pourtant en piteux état, arborent elles aussi de belles peintures colorées. Elles sont la réalisation d’une association de quartier, l’amicale Al-Nasr. Serait-ce une autre forme de Street Art ? Ces réalisations éloignées de tout but politique sont le résultat d’une action fédératrice autour d’un projet commun : décorer ensemble son quartier et sa rue. De manière « plus formelle », l’association française Street Art sans frontières parcourt le monde et pose ses pots de peinture dans les quartiers défavorisés. Ainsi, en 2015, l’association a réalisé des projets artistiques solidaires avec les populations locales dans plusieurs villes du Maroc, « cherchant des zones un peu oubliées artistiquement afin d’y apporter de la couleur. »

Si l’art urbain au Maroc n’est pas explicitement politique, comme c’est le cas dans d’autres pays du monde arabe, il s’érige en arme pacifique au sein d’une société tiraillée entre modernité et tradition. S’imposant à la vue des passants sans vraiment les heurter, impliquant les habitants d’un quartier dans sa réalisation, il promeut la diversité et sensibilise la population dont l’écrasante majorité n’a jamais mis les pieds dans un musée ou une galerie d’art. Tous les espoirs sont permis…

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